Historique – Courlon d’Avant-Guerre

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Au hasard des cartes postales qui suivent, se succèdent des rues sans trottoir, parsemées de gens sans histoire, sortis de leur maison pour la photographie. Derrière un rideau qui bouge, on imagine aisément le pâle visage d’une grand-mère surveillant « l’inquisiteur » venu de Bray-sur-Seine : le photographe. La séance terminée, elle reprenait son ouvrage dans la cuisine, à mi-chemin entre la cuisinière à bois et les gens qui passent. Les gens ? Des femmes : Marguerite, Céleste, Anaïs. Des hommes : René, Clébert, Pamphile. Des sobriquets : le p’tit Roblot, Pampelume, Trouillon ! Des Courlonnaises et des Courlonnais qui ne se déplaçaient guère. Ils vivaient là-même où ils étaient nés et travaillaient au village comme bourrelier, vannier, épicier, cordonnier, berger ou cultivateur. A la lumière des saisons. L’électricité n’existait pas encore.

Chaque saison amenait ses fêtes. L’hiver célébrait la Saint-Vincent et la Mi-Carême, le printemps installait son bal champêtre sous les peupliers de la plage jusqu’à la fin de l’été, et l’automne dressait sa rotonde à la Saint-Calixte. S’amuser était de mise. Tandis que Louise faisait fondre le Ville Saint-Jacques entre deux râpis, Eugène avait tôt fait de mettre un fût en perce… Ils vivaient simplement. Sans y penser.

Alain Cancel

LA MAIRIE ET L’ÉCOLE

Le 17 novembre 1889, le maire Alexandre Bourbon et le Conseil municipal convièrent les villageois à la cérémonie d’inauguration de leur nouvelle mairie. La construction du bâtiment, comprenant le logement de l’instituteur et de l’institutrice, dura treize mois. L’État finança une partie des travaux mais la commune dut s’endetter pour trente ans.

Cachée derrière la mairie : l’école. Retrouvé dans les archives : Estienne Fénin « maître des petites écoles » à Courlon en 1760. Pour des raisons familiales, M. Fénin résilia ses fonctions qui consistaient à assurer « le service de l’église et l’instruction de la jeunesse ». Le 1er mai 1760, Edme Nallet (ascendant de Félix Nallet, propriétaire de la scierie) le remplaça et resta  » maître des petites écoles  » jusqu’en 1783. Sous Napoléon 1er, M. Renom percevait 200 francs or par an (40 centimes pour les enfants à l’alphabet, 60 centimes pour ceux qui lisent et 80 centimes pour les doués qui écrivent et font des règles…). D’autre part, le Conseil municipal l’autorisait à quêter le blé et le vin.

Se succédèrent M. et Mme Rameau (1866) puis, sous Jules Ferry, Victor Guimard, archiviste et naturaliste chevronné, qui fit don de ses diverses collections à la ville de Sens. Vint M. Mauny en 1911, M. Clémendot en 1930 et M. Hernoux en 1936. Cette année-là, on préconisa l’école mixte, tant et si bien, qu’à la rentrée des classes de 1937 petites Courlonnaises et petits Courlonnais prirent place sur le même banc.

QUE LA FÊTE COMMENCE…

« Amateurs de sensations fortes, si vous voulez voir plus haut que les toits du village, plus loin que la rivière, jusqu’aux coteaux de Champigny, montez, au moins une fois dans votre vie, dans la Grande-Roue et vous verrez… ». C’était à Courlon, en 1906, lors des fêtes de la Mi-Carême.
Et les plus grands des garçons de  » l’Union Sportive  » prirent place dans la Grande-Roue.
Ils n’étaient plus que deux, en 1989, à pouvoir parler de la camaraderie qui régnait au sein de la Société de gymnastique « l’Union Sportive de Courlon ». Plus que deux à pouvoir encore évoquer les répétitions avec les moniteurs Breuillé et Martineau. Camille Mulot, le benjamin de « l’Union Sportive » (âgé de 6 ans sur la photographie de la « Remise du drapeau »), sautait du haut de la pyramide dans les bras de Martineau ! Nostalgique, Victor Brissot se souvenait encore des rencontres internationales de gymnastique qui se déroulèrent à Nice, en avril 1920. Les jeunes Courlonnais flânant sur la Promenade des Anglais au bras des belles Niçoises… Le beau voyage !

VENANT DE SERBONNES…
Par la porte de Bachy, on croise des cultivateurs qui s’apprêtent à partir dans les champs.

Puis on descend l’actuelle rue des Préaux pour arriver à l’Hôtel des Postes et Télégraphes, construit en 1889. Méril Dejaune fut, en 1884, le premier facteur de Courlon pour 75 francs par an. La dénomination « sur Yonne » n’entra en vigueur que le 23 décembre 1914, par décision du président Raymond Poincarré, suite aux erreurs d’acheminement du courrier qui se produisaient entre Courlon et Courson aux premiers mois de la guerre. Ainsi Courlon devint Courlon-sur-Yonne et Courson, Courson-les-Carrières.

Le cimetière, dont on aperçoit quelques tombes, se trouvait face à l’Hôtel des Postes, autour de l’Église médiévale qui servit de refuge aux derniers combattants courlonnais assaillis par les Huguenots, lors des guerres de religion, en 1567.

Réfugiés dans le clocher, on leur promit la vie sauve en échange de leur reddition mais à peine furent-ils descendus qu’on les égorgea l’un après l’autre. Découvrant l’imposture, le dernier d’entre eux remonta dans le clocher d’où il se jeta.

AU CARREFOUR

Après avoir salué l’instituteur Victor Guimard (l’homme portant chapeau au dernier plan), acheté du tabac chez M. Vulcain et un pain à 1 franc à la boulangerie Rondeau (la boutique à droite (photo de droite)), on rencontre Marie Sépot, marchande de vins sur le pas de sa porte (photo de gauche).

L’arrière salle de sa boutique était l’endroit où l’on donnait bals et concerts. Relevé sur une affiche de l’époque : Ville de Courlon, dimanche 2 mars, à 8 heures, en la salle de Mme Sépot, grand concert vocal et instrumental donné par la Fanfare de Courlon avec le concours de M. Bonhomme, le comique auxerrois. Spectacle en deux parties dont une comédie en un acte L’Armoire et une saynète Latrouille et Lefroussard à Paris. Après le concert : Bal. Prix des places habituel. Entre deux polkas, les amoureux allaient faire quelques pas route de Bray.

D’autres descendaient prendre un verre chez Mme Michelon, en bas de la Grande-Rue, saluant au passage le Docteur Moret qui rentrait, en cabriolet hippomobile, d’une visite chez un patient de Villethierry (distant de 15 km…). Il fut l’un des premiers Courlonnais à acquérir une automobile.

La maison du Docteur, comme on l’appelait, appartint à Alexandre Bourbon, maire et médecin au XIXe siècle. Dans cette maison datant du XVIe siècle, avec sa tour à encorbellement dominant la Grande rue, Victor Guimard nous raconte que l’on jugeait les délits d’où l’existence de la place du Pilori qui demeura longtemps place publique.

COMMERÇANTS ET ARTISANS

Photo 1 : Les boulangers : M Rondeau, 3 rue des Préaux (également épicier), M. Verrien, 4 Grande-Rue et M. Mulot, 2 rue de la Vieille Ville. Les bouchers : M. Mélinat, 3 Grande-Rue et M. Aublet, 11 Grande-Rue, le charcutier M. Morin, 26 rue M. Lamy.
Photo 2 : Les épiciers : M. Corberon, 9 Grande-Rue (également marchand d’étoffe, il habillait  » l’Union Sportive « ), M. Ygot, 40 rue M. Lamy, épicerie-cordonnerie, Mme Gerbeau, 8 rue de la Vieille Ville, épicerie, tissus, buvettes.
Photo 3 : L’épicerie de Mme Nallet se trouvait à l’angle de la rue des Brissots et de la rue des Préaux.
Photo 4 : L’Auberge de la Marine au bord de l’Yonne (du temps de M. Pertoka)

M. Bouleau, hôtel, restaurant, billard, salle de danse, 2 rue des Préaux et enfin Camille Vulcain (ci-dessus), véritable « drugstore » avant l’heure : débit de boissons « grande licence », tabac, épicerie, fruiterie, graineterie, poterie, mercerie, 4 rue des Préaux. Il délivrait aussi les congés pour le transport des alcools.

Sûrement la plus ancienne entreprise du village. Félix Nallet, né sous Louis-Philippe, possédait déjà une scierie rue Basse, avec scieurs de long. Son fils, Gustave Nallet, acheta en 1895 une première machine à vapeur destinée à actionner le banc de scie circulaire puis une seconde en 1901. Gustave Nallet disparu, la scierie continua de prospérer avec ses fils René et Cyrille ; hélas, ce dernier décéda des suites de la grippe espagnole, en 1919.

La plus importante entreprise du village employait une douzaine de personnes. On y sciait et débitait principalement des chênes, des peupliers et des ormes avec lesquels on fabriquait lames de parquets, escaliers, chevrons, charpentes, chariots et charrettes. Au n°33 de la rue Basse, on peut toujours voir la maison du contremaître où demeure à présent Sylvain Nallet (le petit-fils de René), exploitant forestier…

» La scierie Nallet (Partie 1) PDF
» La scierie Nallet (Partie 2) PDF
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Le village comptait deux maréchaleries : celle de gauche (photographiée dans les années 50), à l’angle de l’avenue Charles Mazière, tenue par les Mathé, et l’autre, au 29 de la rue Maria Lamy, par les Leroy et Lenoir. Deux maréchaux-ferrants n’étaient pas de trop pour s’occuper des quelque 220 chevaux que l’on dénombrait au village à la fin du XIXe siècle.
Photo de droite : Achille Mathé, dont le père, Jean, tenait la maréchalerie sous Louis-Philippe, son épouse et leur fils Baptiste qui demeura forgeron jusqu’en 1942.

LES BORDS DE L’YONNE
Par cette belle journée d’été, on descend l’avenue des Tilleuls…

pour arriver au bord de l’eau…

où les pêcheurs s’en donnent à cœur joie ; une friture de goujons est toujours la bienvenue !

Après avoir pris un verre chez Ninie Guilhois…

on salue Frédéric Norblin, le passeur, qui assura jusqu’en 1918 (pour 2 sous l’aller et 3 sous le retour) la traversée des piétons désireux de se rendre à Villemanoche ou à La Chapelle. Eugène Pertoka, qui fit construire l’Auberge de la Marine, prit la relève jusque dans les années 30 où le batelet finit au fond de l’eau…
Quant aux cultivateurs et leur bétail, ils utilisaient un gué situé cent mètres en aval du barrage pour aller sur la rive gauche où ils cultivaient 80 ha de prés. Des historiens s’accordent pour dire que la position stratégique de ce gué carrossable est à l’origine de l’implantation du village et du nom de Courlon. Les Romains dénommaient un gué : Vadum et l’adjectif carrossable se disait : curule. « Curule Vadom », l’érosion du langage aidant, serait devenu « Curlum », prononcé « Courlum » puis Courlon.
En 1851, on décida de la mise en service d’un bac pour voitures et bestiaux mais avec la construction du pont de Champigny en 1869, le trafic diminuant peu à peu, ce bac fut supprimé et remplacé, en 1903, par le batelet pour piétons que l’on peut voir sur la photographie. La cabane du passeur fut rasée par décision du conseil municipal. Aujourd’hui, subsiste son emplacement à l’angle de la rue du Port et de l’impasse du Port. A l’arrière-plan, on aperçoit le lavoir communal dont le bassin fut couvert en 1904.

LA RIVIÈRE ET LE CANAL

Les travaux du canal de dérivation, qui ont entraîné la construction du barrage, firent l’objet d’un décret d’utilité publique le 17 avril 1861. Durant sept années, de 1863 à 1869, le tournant de la rivière ne fut qu’un immense chantier. Travaux de terrassement du canal d’une part, et construction du barrage, de la maison de l’éclusier, du pont du canal et de l’écluse, d’autre part.

De fait, cette écluse était une écluse de garde destinée à éviter un trop-plein d’eau dans le canal, en cas de crue. De 1884 à 1896, quatre crues endommagèrent le barrage mis en service en 1867 mais les deux plus importantes du dernier millénaire restent celles de 1760 et de 1910. Durant le mois de janvier 1910, la rivière s’éleva en quatre jours de 4,35 m au-dessus de son niveau normal.

En deux jours, pour 3 livres et 9 sols, le coche d’eau d’Auxerre, halé par des chevaux, conduisait marchandises et voyageurs à Paris. Un décret du 18 janvier 1873 autorisa l’établissement d’un service de touage sur chaîne noyée pour le remorquage des embarcations (« touer », en parlant d’un bateau, signifie « le haler à l’aide d’un remorqueur »). Au fond de la rivière, une solide chaîne reliait Montereau à Migennes ; le remorqueur, appelé le toueur (ci-dessus), utilisait cette chaîne pour se  » tracter « . A bord du toueur, une machine à vapeur actionnait deux grosses roues dentées autour desquelles la chaîne s’enroulait avant de retomber au fond de l’eau.
Paul Seguin, capitaine du toueur montant, et Henri Dejaune, capitaine du toueur descendant, échangeaient leur convoi de vin ou de céréales à Sens et repartaient, chacun de leur côté, dans un bruit d’enfer. Le service du touage cessa en 1937.

COURLON PLAGE

On se rendait à la plage de Courlon par le petit chemin qui longe la fausse rivière (à gauche après le pont du canal en direction de Champigny). Comme l’indique le programme ci-dessous, la plage fut inaugurée le dimanche 11 août 1935.

Dès la belle saison, on dansait au bal Simard ; M. Fontaine, le pâtissier de Villeneuve-la-Guyard, et Paul Simard installaient leur fourneaux derrière la rotonde où l’on pouvait se restaurer à l’ombre de peupliers (à droite, sur la deuxième photo ci-dessous : Paul Simard).

Là, baigneurs, danseuses, baigneuses et danseurs de charme faisaient connaissance en dégustant une glace tandis que leurs parents évoquaient le temps, pas si lointain, où la musette (instrument voisin de la cornemuse) remplaçait l’accordéon et donnait son nom au bal.

Le 14 juillet, on procédait à l’élection de la Reine de la Plage ce qui donnait lieu à une grande fête et, parfois, à quelques tiraillements quant au choix de l’heureuse élue… On notera sur la photo ci-dessus la présence de Monsieur le Maire, Charles Mazière, assis à gauche des demoiselles d’honneur, et du garde-champêtre !

SUR LE CHEMIN DE LA GARE…

Le pont de Champigny fur construit sous Napoléon III et inauguré le 14 mars 1869. Il contribua largement aux échanges commerciaux entre Champigny et les communes de la rive droite. C’est ainsi que les couvertures en chaume des maisons de Courlon furent remplacées par des couvertures en tuiles de Champigny et les moellons de craie, remplacés en partie par des pierres provenant des carrières de Champigny. Cette commune, qui finança la construction du pont, fut autorisée à percevoir un droit de péage durant 65 ans mais en 1888 l’État racheta le pont et supprima le péage.

Durant la Première Guerre mondiale cette gare fut, pour certains Courlonnais, celle du premier, parfois du dernier voyage. Ce quai des cœurs qui battent a connu la joie des retrouvailles et les larmes des départs…

Gare de Lyon, 9 heures : le Prince Président Louis Napoléon quitte Paris ; il est à Champigny à 14 heures et arrive en gare de Sens à 15 heures. Cent vingt kilomètres en six heures, arrêts compris ! C’est l’inauguration de la ligne Paris-Sens, le 9 septembre 1849. Nul doute que les jours de vent d’ouest, les coups de sifflets de la locomotive à vapeur retentissaient jusqu’au village. Dans les champs, Eugène regardait sa montre et disait à Louise : « Tiens ! Le train de Paris… C’est signe de flotte ! ». Peu après, la fumée de la locomotive s’élevait au-delà des peupliers de la rivière, là-bas dans la vallée. Et se fondait dans le blanc des nuages comme sur une toile de Turner.